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Marins remarquables de Dahouët
Petit port de la côte nord de la Bretagne, Dahouët a vu naître toute une série de marins remarquables dont il nous a paru important de retracer le parcours de vie, parce qu'il nous rappelle la dure réalité que ces hommes ont dû affronter et les épreuves, insurmontables, qu'ils ont su surmonter. Un des plus remarquables est sans aucun doute Alexandre Lévêque.
Alexandre Lévêque - 1884 - 1964
Jeunesse
ll naît à Pléneuf, en 1884 , deux ans après son frère Mathurin, personnage tout aussi important pour Dahouët et la mer. Comme son frère, il va à l'école des Frères du Tertre-du Bourg jusqu'à ce qu'il aît 14 ans. En 1898 il obtient le fascicule maritime qui lui permet d'embarquer comme “novice“, mousse, à  bord de goélettes armant pour la grande pêche. Son frère et lui , grâce à M. Herbert, directeur de la première école publique de Pléneuf-Tertre-du Bourg,  qui organise des cours du soir pour les jeunes marins qui ont quitté tôt l'école, sont préparés pour l'examen d'entrée à l' Ecole d'hydrographie de Saint-Brieuc, déplacée plus tard à Paimpol et devenue Ecole nationale de la navigation maritime, aujourd'hui Lycée maritime Pierre Loti.
Il obtient en 1908 le grade de lieutenant et en 1909 de capitaine au long cours. Alexandre Lévêque avait déjà tâté du long cours avant son entrée à l'Ecole d'hydrographie: à 18 ans, en 1902, il avait embarqué sur le Pierre-Antoine et fait connaissance avec l'Australie. Second sur le quatre-mâts Espérance qui va charger du nitrate au port de Iquique, sur la côte du Chili, il affronte le Cap Horn en tant qu'officier pour la première fois.
Durant la guerre de 14-18 , il est « dispensé comme frère d'un inscrit maritime présent sous les drapeaux », Mathurin. On verra qu'il n'a en rien été passif !
Il entre à la compagnie maritime française Bordes  (1847-1937) dont il commandera les bateaux jusqu'en 1920. Au premier rang du transport maritime à voile dans le premier quart du XXème siècle, principalement de Bordeaux et de Dunkerque, la compagnie Bordes aura jusqu'à 35 voiliers cap-horniers dont la majorité transporte du nitrate, utile pour la fabrication d'explosifs. Elle exporte aussi du charbon anglais vers le Chili. Affaiblie par la guerre, la perte de ses voiliers coulés par les sous-marins allemands et la concurrence de la machine à vapeur, elle cessera son activité en 1935.
Revenons à Alexandre, qui, en 1913 s'est marié avec Angélique Bahier, dont le père, Marie-Ange Bahier, avait eu une longue carrière dans la marine marchande et le commerce au long cours. Ils auront trois enfants. Mais en 1928 Angélique meurt et il se remarie en 1929 avec Marie Lévêque, décédée en 1984 .

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Epreuves et maturité
Un des bateaux les plus impressionnants dont il ait été le commandant est l'Aconcagua, un trois-mâts carré franc, lancé en 1880 aux chantiers de Glasgow et racheté en 1893 par la compagnie Bordes. C' est le 2ème du nom, le premier s'étant perdu corps et bien en 1890 . 
L'Aconcagua, bateau non armé, revenait du Chili, les cales remplies de nitrate à destination de Rochefort. Dans la nuit du 1er au 2 janvier 1917 , au large du Perthuis d'Antioche, détroit séparant l'île de Ré et l'île d'Oléron, bordant le département de la Charente-Maritime,  l'Anacongua est coulé au canon par un sous-marin allemand, le U-70  après que son équipage a été évacué sur deux baleinières. Le sous-marin émerge d'abord à 200 mètres sur l'arrière, braque son projecteur sur le voilier et donne l'ordre de l'abandonner. Le navire n'étant pas armé, pas de résistance possible. Le capitaine Lévêque, avec son second Marcel, de Cancale, fait embarquer tout l'équipage  dans les baleinières et ils assistent à la destruction du navire. Ils s'éloignent et sont aperçus par des vapeurs qui, craignant un piège du sous-marin, n'approchent pas des naufragés, mais lancent des fusées d'appel.  Souffrant terriblement du froid, les marins sont recueillis au lever du jour par un  vapeur anglais, le Highland Prince, de la Nelson Line, qui les débarque à Brixham, dans le Devon, sur la côte sud de l'Angleterre. Ils sont ensuite rapatriés en France. Le navire sauveteur sera lui-même coulé au large du Cap Bon, sur la côte tunisienne, le 11 avril 1918 ...
 l'arrière en proie aux flammes, est décidé .Il est 8H 45 . 21 hommes, dont le commandant Lévêque, blessé, quittent le bateau sur l'embarcation non endommagée , et, à 10h. le Madeleine coule, les mâts encore debout. Les naufragés sont recueillis quelques heures après par le Santa-Cecilia, un vapeur américain qui faisait route vers Gênes. Le 4 août ils sont transférés sur le chalutier Marrakchi qui les débarque le 7 août à Casablanca où ils sont hospitalisés.
Le 14 octobre le Journal Officiel publie une liste des marins cités à l'ordre de l'armée et la nomination au grade de Chevalier de la Légion d'honneur avec Croix de guerre d'Alexandre Lévêque.
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Cette fois c'est le trois-mâts Madeleine, de la compagnie Bordes, qu'il commande, comme le précédent, avec 31 marins , à destination de Sydney. Le bateau quitte la rade du Verdon, en Gironde, dans un convoi de six voiliers escorté par trois patrouilleurs. Les patrouilleurs s'en retournent et la traversée se déroule sans encombre jusqu'à la latitude de Madère. Le 31 juillet au matin l'homme de quart à la vigie signale un sous-marin. L'U-155 ouvre le feu et un duel d'artillerie meurtrier s'engage, à 8000 mètres de distance. Les armoires à munitions, atteintes, explosent, des obus atteignent le pont et la mâture, le premier lieutenant est tué. L'abandon du navire, dont l'avant est envahi par l'eau et l'arrière en proie aux flammes, est décidé .Il est 8H 45 . 21 hommes, dont le commandant Lévêque, blessé, quittent le bateau sur l'embarcation non endommagée , et, à 10h. le Madeleine coule, les mâts encore debout. Les naufragés sont recueillis quelques heures après par le Santa-Cecilia, un vapeur américain qui faisait route vers Gênes. Le 4 août ils sont transférés sur le chalutier Marrakchi qui les débarque le 7 août à Casablanca où ils sont hospitalisés.
Le 14 octobre le Journal Officiel publie une liste des marins cités à l'ordre de l'armée et la nomination au grade de Chevalier de la Légion d'honneur avec Croix de guerre d'Alexandre Lévêque.
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Mais déjà en août 1917 il a embarqué sur le Montmorency, quatre-mâts barque construit en 1896 aux Chantiers de la Loire, à Nantes et armé en juin 1917 de deux canons. Il le quitte en 1921 pour commander d'autres bateaux, de l'armement Delmas-Vieljeux (qui fait partie aujourd'hui du groupe CMA-CGM, après avoir été racheté auparavant par le groupe Bolloré). Delmas-Vieljeux a son siège à La Rochelle, où habite Alexandre Lévêque jusqu'en 1934 .
Retraite 
Après 36 ans de navigation et plusieurs années comme capitaine expert pour sa compagnie, il prend sa retraite et vient habiter au Minihy, entre Dahouët et Pléneuf. Il entre au Conseil municipal de Pléneuf  en 1935 et là encore les aléas de la grande histoire modifient sa trajectoire. Parce que le maire, Guillaume de La Goublaye de Nantois, officier de réserve, est mobilisé pour l'occupation française en Allemagne, Alexandre Lévêque, premier adjoint, devient maire à son tour, de 1945 à 1947. Pendant son mandat, il doit superviser le déminage de la commune, initié par Charles Lévêque, qui, avant même qu'on ne découvre les plans de mines dans les dossiers de la Kommandantur à Saint-Brieuc, avait réuni une équipe de démineurs volontaires et s'était astreint à cette tâche, infiniment périlleuse. Là encore, l'héroïsme des individus laisse ébahi.Le chenal d'entrée du port de Dahouët était miné, interdisant toute entrée ou sortie de bateaux, tout comme la plage du Val-André était couverte de chevaux d'arçon, minés eux aussi. (Les lecteurs peuvent, pour en savoir plus sur cette période, se reporter au numéro 19 , novembre 2004 de la revue rdv-Côte de Penthièvre et lire le roman de Claire Deya, Un monde à refaire, aux Editions de l'Observatoire, qui a reçu le Prix Verdelettres 2024, prix décerné par des lecteurs de Pléneuf-Val-André-Dahouët). Il fallait aussi s'occuper de l'établissement des dossiers des dommages de guerre, du ravitaillement, gérer enfin les conséquences de l'incendie en 1946 de la Mairie, installée Place de Lourmel. Au retour de Monsieur de Nantois, il devient deuxième adjoint, jusqu'en 1953 .
 Enfin retiré dans sa maison du Minihy il s'éteint en 1964. Restent en mémoire aujourd'hui le trajet de la vie exceptionnelle, dans des circonstances exceptionnelles, d'un homme d'exception.


Texte et recherche : Yvonne Lagadec et Yves Rault
Photos: archives R.Deretz